BIO/STATEMENT
Le travail de Stubbs-Leví travail s'articule autour d'une expérience de pensée inédite : rapprocher astrophysique et psychanalyse pour créer un espace conceptuel où la psychologie éclaire les phénomènes stellaires. Dans cette perspective, des processus émotionnels comme le deuil transcendent l'humain pour investir le cosmos. Ce télescopage théorique - que Descola qualifierait d'animisme contemporain - soulève des interrogations radicales sur la nature des émotions comme structures fondamentales de l'univers. Un trou noir pourrait-il incarner l'espace-temps en deuil de son étoile disparue ?
L'artiste établit des correspondances précises entre la structure des trous noirs (horizon des événements, disque d'accrétion) et les mécanismes psychiques de la perte. À travers des poèmes concrets, elle explore les dimensions astrophysiques et politiques de l'absence. Sa méthode fusionne données scientifiques et récits personnels dans un processus de transformation continu : les poèmes deviennent partitions, les partitions prennent forme dans des performances avant de se matérialiser en installations sonores. D'autres installations, silencieuses en apparence, utilisent le texte pour activer la voix intérieure du spectateur, créant un environnement acoustique modelé par la mémoire.
Influencée par Salomé Voegelin, Stubbs-Levi développe une approche de l'écoute comme espace de négociation entre perception et interprétation. Le traitement du son d'un trou noir par l'observatoire Chandra (transcrit en si bémol, 57 octaves sous le do central) l'interroge sur ce qui se perd dans cette traduction. Travaillant entre espagnol, anglais et français, elle s'intéresse aux écoutes non médiées, à la musicalité première des langues qui précède le sens. Ce post-linguisme vise moins à libérer les mots de leur signification qu'à libérer l'auditeur du processus interprétatif lui-même, le confrontant à la pure physicalité vibratoire du langage.
Chaque pièce intègre une dimension participative, qu'il s'agisse de partitions interprétées par des musiciens ou de marches sonores transformant l'écoute en rituel collectif. Ces dispositifs font de l'expérience auditive un geste à la fois sensoriel et politique, où les textes activent des mémoires sonores et où l'écoute partagée devient acte d'émancipation - manière de métaboliser collectivement les manques.
Depuis sa résidence à la Cité internationale des arts, l'artiste explore les traces sonores des absences : voix éteintes, bruissements disparus, pas révolus - ces ondes persistantes dans la mémoire. Si le "son" d'un trou noir peut nous parvenir, nos voix atteignent-elles les étoiles ? Cette recherche développe une archéologie sensible des absences, où les sonifications de phénomènes stellaires dialoguent avec voix disparues et récits des survivants, faisant de l'acte d'écouter une forme de résistance à l'oubli.
[postdisciplinary artist]
Daniela Stubbs-Leví est une poète et artiste-chercheuse péruvienne basée à Paris. Sa pratique interdisciplinaire tisse des correspondances entre le son, la poésie, les arts visuels et la performance, en explorant les tensions entre présence et absence, mémoire et imagination, espace et lieu.